L'Evénement condamné
L'Evénement condamné pour diffamation
Un franc symbolique à payer par L'Evénement à François Compaoré. Deux mois de prison avec sursis et 300 000 f cfa d'amende pour chacun des deux journalistes condamnés. Reportage…
Lundi
22 janvier 2007, il est 20h 57. Dans le procès intenté par François
Compaoré contre L'Evénement, Seydou Millogo, président du Tribunal, a
requis 2 mois de prison avec sursis et 600 000 f cfa d'amende contre
Germain Bitiou Nama et Newton Ahmed Barry. Le journal devra publier le
verdict dans L'Observateur paalga, Le Pays et Sidwaya. Le frère cadet
du président Blaise Compaoré reproche aux journalistes d'avoir attenté
à son honneur et à sa dignité. Le dossier mis en cause est intitulé "
Affaire Norbert Zongo. Ainsi donc, c'est lui. Jusqu'à présent, on
pensait à lui sans oser le nommer, RSF vient de franchir le pas ". Le
procès du 8 janvier a été reporté au 22 janvier. La raison ? Le
Tribunal avait évoqué la non disposition de l'original de l'article
incriminé.
15h05mn. Le palais de Justice est archicomble. Des journalistes, des étudiants et des anonymes occupent les différents sièges.
Les
avocats de la défense sont Me Bénéwendé Sankara, Prospère Farama et
Julien Lalogo. La partie civile, François Compaoré est défendu par les
avocats Mamadou Ouattara et Abdoul Ouédraogo.
15h 20 mn. Début des
débats. La défense veut connaître la réponse du Tribunal concernant sa
requête demandant la présence physique de François Compaoré. Cette
présence permettra, selon elle, une discussion contradictoire. La
partie civile, le président du Tribunal, Seydou Millogo, le procureur
du Faso, Adama Sagnon, affirment qu'il n'est nullement besoin de
François Compaoré pour un tel débat. Pour le président de séance,
Seydou Millogo, les avocats représentent valablement François Compaoré.
En définitive, il rejette la sollicitation de la défense.
La
défense se soumet donc à la décision du Tribunal. Elle assure maîtriser
les contours de son dossier. Le public l'acclame. Adama Sagnon menace
d'évacuer la salle. Seydou Millogo met en garde le public : "ce n'est
pas une assemblée générale ni un meeting. Pour la sérénité des débats,
je vous demande de suivre calmement". Les discussions reprennent.
La défense invoque trois exceptions. Pour Me Lalogo, le Tribunal doit surseoir à statuer sur le procès en cours.
Les exceptions
De
nouveaux éléments pouvant permettre de faire ressurgir l'affaire. Cette
affaire est loin d'être close même si le principal inculpé, Marcel
Kafando, a bénéficié d'un non-lieu en juillet 2006. Ainsi condamner des
individus serait préjudiciable. "On ne peut pas surseoir pendant 10 ans
alors que des gens continuent à diffamer", retorque Adama Sagnon. Puis
de marteler : "L'affaire Norbert Zongo est clôturée". Deuxième
exception : Me Farama table sur l'irrégularité de la citation à
comparaître de Newton Ahmed Barry. Le siège du journal a été considéré
par le huissier comme le domicile du journaliste. Or, celui-ci possède
un domicile. Par conséquent, l'acte n'a pas été reçu par ce dernier.
Troisième exception : l'acte de citation reçu par les prévenus et leurs
avocats est différent de celui du Tribunal. Sur la base de ces faits,
Me Farama exige l'annulation de l'acte de citation. Selon lui, "il n'a
pas été fait selon les règles de l'art". Concernant les deux dernières
exceptions, la partie civile déclare que Newton Ahmed Barry est bel et
bien présent au Tribunal. Le procès ayant commencé, Il ne peut se
rétracter même s'il n'a pas reçu l'acte de citation.
"On sent une
mauvaise foi manifeste de la défense", s'écrie, Adama Sagnon, procureur
du Faso face aux exceptions soulévées par les conseils de L'Evénement.
Poursuivant
dans les invectives, il avance que ce réquisitoire de la défense n'est
" que du verbiage ". Et Seydou Millogo de rejeter les requêtes.
16h
15 mn. Il aborde alors les questions de fond. "Quand vous écrivez,
Affaire Norbert Zongo; ainsi donc, c'est lui. Que voulez-vous dire ?".
Germain Bitiou Nama et Newton Ahmed Barry assurent ne pas comprendre la
question. Pour plus de clarté, il sollicite la présence de François
Compaoré. Il aurait pu donner sa compréhension. Les deux journalistes
demandent donc à la partie civile d'être plus explicite en leur
montrant en quoi " Ainsi donc, c'est lui " est diffamatoire. Cette
explication leur permettrait de mieux s'expliquer parce qu'ils assument
pleinement leurs articles et n'ont pas l'intention de se dédire.
Embarras de la partie civile. Seydou Millogo et Adama Sagnon
s'offusquent.
"On parle français là", lance Adama Sagnon aux
prévenus. Il exige une réponse. Les avocats de la défense demandent en
vain la parole. Me Sankara lève le doigt et lance avec insistance au
Tribunal : "Nous voulons parler à nos clients". Les trois avocats de la
défense se rapprochent donc de leurs clients. "Vous êtes debout comme
si vous voulez bondir sur quelqu'un ", note le président, l'air gêné.
"En effet, nous assistons nos clients", répond Me Sankara. Néanmoins,
les journalistes affirment qu'ils écrivent avec constance et continuité
depuis huit ans sur l'affaire David Ouédraogo et Norbert Zongo...
L'Affaire Norbert Zongo, sujet tabou
Seydou
Millogo interdit l'évocation de ces deux affaires. Le public gronde. Le
président du Tribunal menace d'évacuer la salle. Il invite les
mécontents à manifester leur sentiment sur le toit du palais. Il
demande au procureur de prendre toutes les dispositions utiles afin
d'interpeller d'éventuels contrevenants. A ces mots, un garde de
sécurité pénitentiaire quitte le fond de la salle. Il rejoint son
collègue assis devant, près du Tribunal. Il récupère une menotte et sa
clé. Le garde assis tient fermement sa kalachnikov. Il a le regard
inquisiteur. La bouche pincée, le buste droit, il attend un signal.
L'atmosphère est chaude. L'on met en marche les brasseurs d'air. Les
débats reprennent.
"Lorsqu'on vous accuse gratuitement d'avoir
assassiné quelqu'un, ne pensez-vous pas que cela porte atteinte à votre
honneur ?", interroge la partie civile. Les journalistes demandent le
conseil de leurs avocats. Le président s'étonne de leur sollicitation.
" Ils sont à côté de vous. Vous ne les voyez pas ? " questionne-t-il.
Me Sankara et Farama réitèrent la demande. Seydou Millogo, vu
l'insistance, consent à une suspension d'une minute.
A la reprise,
les journalistes déclarent assumer la responsabilité de leurs écrits.
Seydou Millogo, président du Tribunal, les charge à nouveau : " Si
demain, vous achetez un journal et vous voyez votre photo, et l'on vous
traite de menteur, quelle sera votre réaction ?"
Un homme de loi
s'indigne : "Le président prend partie pour la partie civile. Or, il ne
doit pas le faire. Son rôle, c'est être impartial ". Pour Newton Ahmed
Barry, L'Evénement est un bimensuel qui travaille à rendre intelligible
et accessible les informations. Il fait des analyses. Ainsi, le
communiqué de Reporters sans frontières (RSF) sur les nouvelles charges
dans l'affaire Norbert Zongo a servi de sources. "On s'en fou de RSF.
En attendant, c'est vous qui êtes à la barre. Répondez à la question",
s'égosille Adama Sagnon. Puis de tancer les deux journalistes.
"Répondez par oui ou par non si, selon vous, François Compaoré est le
commanditaire de l'assassinat de Norbert Zongo". "Est ce que le
procureur veut bien comprendre ce que c'est qu'un commentaire de texte
", signifie Germain Nama. Newton Ahmed Barry explique que les documents
de la Commission d'enquête indépendante et les déclarations de RSF
citent François Compaoré comme un suspect sérieux. Adama Sagnon
interrompt le journaliste. Il veut l'obliger à répondre par Oui ou par
Non. Mais, le journaliste continue son explication. Adama Sagnon, noir
de colère, brusquement l'arrête. "De toute façon, nous avons la
réponse". Le rédacteur en chef de L'Evénement lui demande de ne pas le
menacer. "C'est mon rôle de menacer", rétorque Adama Sagnon. Et le
substitut du procureur d'avancer que "Le ministère public est là pour
trouver des charges et non pour vous ménager. La liberté de presse
n'est pas la liberté de l'ivresse".
Une justice partiale
Assise,
aux premières loges, une jeune étudiante a la main sous son menton.
Elle suit fixement les débats. Soudain, elle s'exclame. "Je comprends
maintenant pourquoi certaines personnes font des attentats. A travers
ses propos, Adama Sagnon ne joue plus le rôle du ministère public. Il
nous dit "C'est moi Adama Sagnon. Je fais ce que je veux. De toute
façon, vous ne pouvez rien contre moi. " Là, il oublie que la loi ne se
confond pas à sa personne ".
19h53mn. C'est la plaidoirie. La
partie civile exige un franc symbolique. Elle laisse la latitude au
Tribunal de condamner et d'amender à sa guise les deux journalistes. A
la fin du réquisitoire de la partie civile, une personne applaudit. Le
public, comme un seul être, la cherche du regard. L'intéressé
s'interrompt et ne se manifeste plus. Le ministère public, par la voix
de Adama Sagnon, exige 3 mois d'emprisonnement avec sursis à l'encontre
de Germain Bitiou Nama et de Newton Ahmed Barry et 6 mois de suspension
du journal.
Le trio d'avocats de la défense demande la relaxe pure
et simple de leurs clients. Les journalistes font leur métier. Ils
écrivent pour informer. Leurs écrits ne sont nullement dans l'intention
de nuire.
"La presse est libre quand elle chante les louanges du
prince. Mais, elle devient diffamatoire quand elle s'intéresse à
certains dossiers. Si dans l'affaire David Ouédraogo, on avait respecté
la présomption d'innocence, on n'en serait pas là aujourd'hui. Tant que
les hommes seront vivants, ils émettront leur pensée, leurs opinions",
conclut Me Farama n
Ramata.sore@gmail.com