KOWEÏT • Sarkozy, marchand d'armes avant tout
La rapide visite qu'a effectuée le président français au Koweït n'était destinée qu'à vendre des armes, se lamente un journaliste koweïtien qui attendait autre chose de la France.
Comment remercier le président Nicolas Sarkozy ? Il a trouvé le moyen de consacrer quatre heures entières au Koweït lors de sa tournée dans le Golfe. Malgré ses multiples occupations, il nous a gratifiés de son attention et nous a accordé une visite pendant laquelle il a fait comme s'il était chez lui et nous ses invités. Dans le programme surchargé de son séjour et parmi toutes sortes de discours de circonstances et formules de politesse, le seul point vraiment important a été la vente d'armes. Sarkozy a abondamment parlé de la fourniture d'avions Rafale, de frégates et d'un système de défense antimissile, ainsi que du développement de l'accord de défense entre nos deux pays.
Sa visite peut être considérée comme historique compte tenu de la rareté des rencontres à ce niveau. Et pourtant, les quatre heures semblent se résumer à un contrat d'armement. En tant que Koweïtiens, nous pouvons nous demander si c'est la meilleure chose que la France avait à nous offrir. Elle nous vend des armes ; nous achetons des illusions.
Nous sommes supposés les utiliser contre notre voisin de l'est [l'Iran] ou du nord [l'Irak]. Avec l'Iran, le problème n'est pas bilatéral mais international. S'il devait y avoir une escalade, Téhéran viserait les intérêts internationaux. Or [les Occidentaux] ont des armes plus performantes pour protéger leurs bases militaires et leurs navires qui croisent dans le Golfe que tous les pays arabes de la région réunis. Quant à l'Irak, il n'a aucun intérêt à menacer le Koweït. Cela interromprait la construction d'un Etat démocratique moderne et son développement économique et le ramènerait des décennies en arrière. Entretenir les peurs face à des dangers à venir ne sert qu'à justifier la fièvre acheteuse et à rendre le Koweït accro aux contrats d'armement, pour acquérir des produits qui sont dépassés dès le lendemain.
Le Koweït attendait de vous, Votre Excellence Sarkozy, que vous apportiez des projets dans le domaine de la santé, pour que nous poussions bénéficier du meilleur des hôpitaux et des centres de recherche français. Nous attendions de vous, Son Excellence Sarkozy, que vous apportiez des projets d'accords universitaires, pour que nous puissions profiter du meilleur de l'enseignement français.
Les armes grèvent notre budget pour nous protéger contre un adversaire imaginaire, alors que le véritable ennemi est la maladie et l'ignorance. On aurait souhaité de l'aide pour moderniser l'administration, la justice, la législation, l'industrie, la technologie et l'agriculture. Dans tous ces domaines, la France est en pointe. Mais il ne fallait pas en demander trop. Nous devons comprendre que quatre heures étaient tout juste suffisantes pour traiter de la priorité de Sarkozy : vendre des armes en ces temps de crise, afin de soutenir l'industrie de son pays.
Nous savons très bien que chaque pays défend ses intérêts et que personne ne fait de cadeaux dans les relations internationales. Nous savons également qu'au Koweït aussi il y en a pour qui l'armement est une priorité. Nous savons finalement que notre propos va déplaire à tel ou tel membre de la famille des Al-Sabah [la dynastie régnante] et qu'Untel ou Untel parmi les Al-Sabah va se mettre à la manœuvre pour nuire à ceux qui expriment des points de vue comme les nôtres. Mais nous les exprimons quand même, par conviction qu'un accord plus global aurait été possible, comportant les autres domaines que nous avons cités. Nous le disons en plaçant notre confiance en le Très Grand… et en notre émir Ahmed Al-Sabah.
Jassim Boodai
Al-Raï