Haro sur la rentrée judiciaire

Le petit monde de la justice a effectué sa rentrée le 1 er octobre dernier. Elle a eu lieu à Ouaga 2000 dans la salle des banquets. C'est une audience solennelle présidée par Blaise Compaoré, président du Conseil supérieur de la magistrature. Devant toutes les Cours réunies et un parterre d'invités, les différents orateurs du jour ont parlé du "cadre institutionnel et juridique de lutte contre la corruption", thème de cette rentrée judiciaire. Des discours jugés hors sujet par nombre d'acteurs du système judiciaire.
Une année judiciaire vient de s'écouler et une nouvelle commence à partir de ce mois d'octobre. Que peut-on retenir ? Pas grand-chose, affirment des magistrats et des avocats. "A part la volonté de dialogue inclusif, le bilan est peu reluisant", soutient le secrétaire général du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM), Réné Bagoro. Il estime que l'arrivée du ministre Koté n'a pas fondamentalement changé la donne à la Justice. Les mêmes maux continuent de sévir. "Les conditions de travail des magistrats se sont davantage détériorées avec le déménagement du Palais de justice à Ouaga 2000 pour cause de réfection de l'ancien qui dure depuis un an. La corruption est toujours une réalité au sein du corps, les nominations et les promotions de complaisance continuent de manière sournoise.", note le SG du SBM qui ne s'est pas rendu à l'audience de la salle des banquets. Sur les conditions de travail, un juge d'instruction explique: "Je partage mon bureau avec un autre collègue. Quand je suis là, lui se repose et vice versa. Pendant ce temps, les dossiers ne font que s'entasser. Pour les sorties, on a un véhicule qui n'a jamais de carburant. Nous sommes confrontés à la même situation quand il s'agit de remettre les convocations à comparaitre et les appels à témoin. Tout cela ralentit notre travail et contribue pour beaucoup aux recours à des pratiques illégales comme la corruption ou le trafic d'influence." Selon ce juge, le changement d'homme à la tête du ministère n'a pas apporté les fruits escomptés. Le départ de Boureima Badini n'a pas mis fin à sa philosophie de "juges acquis". L'allégeance aux politiques reste la meilleure voie de promotion. Ainsi, on susurre que deux magistrats nommés récemment à Bobo-Dioulasso auraient eu le coup de pouce d'un conseiller spécial à la présidence du Faso. La politisation du corps judiciaire serait devenue un fait banal à tel point que l'inspecteur des services judiciaires, Fidèle Oui, participe au vu et au su de tous à la convention nationale du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) dont il est toujours membre. Son bureau d'inspecteur de justice serait à l'Assemblée nationale. Pourtant, les textes interdisent aux magistrats de mener des activités politiques dans une formation politique donnée. Au Burkina, cette restriction est valable pour certains et pas pour d'autres. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le rapport de la commission d'enquête sur la corruption dans la justice dorme toujours dans les tiroirs quatre ans après la fin de ses travaux. Les magistrats soupçonnés de corruption continuent leur ascension dans l'appareil judiciaire. La "petite corruption" gagne aussi tous les rouages du palais. Le Réseau national de lutte anti corruption (Ren-Lac) a fait le constat de la mauvaise volonté des autorités à y mettre fin. Suite aux plaintes répétées des citoyens sur l'existence d'un circuit parallèle d'établissement de certaines pièces dont le casier judiciaire et le certificat de nationalité, le Ren-Lac a fait sa propre enquête qui confirme les faits. Le 6 novembre 2007, le Réseau a écrit au ministre Zakalia Koté pour le mettre au courant de ses investigations et voir quelles mesures il compte prendre. Un an après, les responsables de cette structure anti-corruption sont désabusés: "malheureusement, le constat est amer, jusqu'au moment où nous écrivons ces lignes, le ministre de la Justice n'a pas daigné accuser réception de la saisine administrative du Ren-Lac et encore moins y donner suite." Les appels à la dénonciation des faits de corruption relèveraient-ils donc d'une simple profession de foi ? On peut observer qu'il y a de plus en plus un sentiment de raz-le bol devant l'inaction des autorités. Avant, c'était les justiciables. Maintenant, ce sont les acteurs mêmes du système judiciaire qui élèvent haut la voix. La rentrée judiciaire de cette année a donné lieu à de vives réactions dans les médias. Les jeunes avocats contestent la tenue de l'audience solennelle qui "ne sert pas à améliorer le fonctionnement de la justice". Ils estiment avoir été tenus à l'écart du choix du thème. Celui-ci ne serait pas par ailleurs pertinent. "… le problème qui se pose aujourd'hui dans notre pays n'est pas celui du cadre juridique et institutionnel de lutte contre la corruption, mais bien celui de l'efficacité de la lutte contre la corruption". Parler du "cadre institutionnel et juridique de lutte contre la corruption" n'aurait pas d'intérêt dans la mesure où il existe des textes réprimant la corruption et aussi une multitude de structures pour la combattre. Les jeunes avocats pensent plus tôt qu'il aurait fallu parler de corruption au sein de la justice d'une part et de quelle manière la justice compte lutter contre le phénomène d'autre part. Ils soutiennent également qu'il manque de suite dans l'organisation des rentrées judiciaires. Elles se suivent et se ressemblent. On fait du spectacle médiatique sans entrer dans le fond du sujet. Ils s'interrogent par exemple sur les acquis du thème de l'année dernière qui portait sur " les droits de la défense ". A leurs yeux, le bilan est maigre. A titre illustratif, ils affirment que les avocats burkinabè sont les seuls dans la sous région à ne pas pouvoir assister leurs clients interpellés à la police ou à la gendarmerie. Ils pointent du doigt le manque de volonté politique de laisser la justice faire son travail. Me Batibié Benao préconise de "former le ministre de la Justice sur sa mission véritable, qui est de faire en sorte que personne, autre que les magistrats, ne puisse s'occuper de rendre la justice". C'est une véritable pique contre son immixtion dans le traitement du dossier du directeur général de la douane. Un dossier qui vient une fois de plus montrer l'écart abyssal entre les discours et les pratiques concernant la séparation des pouvoirs au Burkina. Idrissa Barry



19/10/2008
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