Dakar, en pagnes

Le bazin riche, le wax, le fancy print, le bogolan, le sucreton peuvent aller se rhabiller. Un photographe inspiré a mis au jour une nouvelle gamme de motifs sur la place de Dakar - qui plus est, en trois dimensions. Il suffit de lever le nez pour en admirer les lignes.

Avec son livre Dakar, instants d'architecture, Didier Loire propose, à l'inverse de l'iconographie habituelle caractérisant les métropoles du tiers-monde, une balade graphique au pied des édifices qui constituent l'identité de la ville. Le cinéma Plaza, le Comptoir franco-suisse, le building Maginot, l'hôtel Teranga, le théâtre Daniel-Sorano… Photographiés serrés afin d'en composer une perspective abstraite, ces lieux institutionnels - pour qui fréquente le centre-ville - dévoilent leurs linéatures minimalistes. Tissage de bois, mosaïque d'émail ou de galets, diagonales de balcons, hachures de claustras, frises de hublots...
Exit la ville poussièreuse, engorgée, vétuste ; ici, les matériaux brillent au soleil, les ombres tranchent les angles, s'entrechoquent, et les couleurs éclatent.

Encouragé par un groupe d'amis dakarois préoccupés par l'urbanisation frénétique de la presqu'île du Cap-Vert, Didier Loire a recensé le patrimoine architectural de Dakar, s'attachant à en isoler chaque fois la pureté des tracés.
Si le livre ouvre sur la gare ferroviaire, qui date de 1912, il déploie la diversité des époques et des influences jusqu'à tout récemment, avec le nouvel immeuble Pinet-Laprade, achevé en 2007.
Au-delà de l'originalité du parti pris visuel, l'un des aspects les plus marquants du livre met en lumière la qualité des réalisations entreprises durant la décennie qui suivit l'indépendance du Sénégal (en 1960). Ampleur, audace, fantaisie témoignent de façon poignante de l'ambition qui animait alors ce tout jeune Etat - ainsi, les bâtiments de l'université, érigés en 1965, dont le corps principal sur pilotis arbore une façade en camaïeu de faïence bleu ciel, du plus bel optimisme.
Le temps passant, l'architecture se rationnalise. L'église Saint-Dominique, d'une modernité extravagante en 1970 avec sa façade en rotonde de béton brut creusée de poissons et d'étoiles, cède le pas à l'archétypique mosquée de la Divinité, construite en 1992.

Didier Loire a arpenté l'asphalte de la capitale et ses rues de sable pour dresser cet état des lieux pendant trois ans, élevant au rang d'icônes la plupart de ces bâtiments qui, partie intégrante du quotidien des Dakarois, ne leur ont jamais paru spécialement remarquables.
Et pourtant, leurs particularités incarnent la mémoire collective, comme le prouvent les surnoms qui les identifient, tel l'immeuble dit "Les Allumettes", rue Parchappe, ou bien "Les Gaufrettes" rue Victor-Hugo. Il arrive même qu'ils soient revendiqués par les autochtones comme l'atteste cette remarque entendue au détour d'une prise de vue : "Vous n'avez pas le droit, c'est le patrimoine !"
Sombre ironie, et c'est aussi en cela que réside la nécessité d'un tel ouvrage car il fallait faire vite. En effet, ledit patrimoine, négligemment livré aux spéculateurs en tout genre, a bien souvent disparu pendant la réalisation du livre.
A l'instar du cinéma Le Paris, détruit en 2006, symbole de l'âme de la ville, comme le célèbre la chanson des artistes maliens Amadou et Mariam :
"Dakar, Sénégal, cinéma Le Paris,
Quelle heure est-il au paradis ?"


Sophie-Anne Delhomme



19/02/2008
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