Article 37 : La pétition serait-elle vaine ?
Bongnessan Arsène Yé, qui a présidé les assises constitutionnelles qui ont accouché de la présente constitution a refroidi les ardeurs des pétitionnaires sur l'article 37. Il a dit sans sourciller que l'initiative était vaine et qu'elle ne pouvait aboutir à rien. Nous avons voulu voir de près ce qu'il en retournait.
La pétition qui est un moyen constitutionnel donné aux citoyens de légiférer indirectement est rendue inutile par la loi 27-94/ADP du 24 mai 1994 qui édicte des conditions draconiennes qui empêchent de le faire aboutir, sauf si la majorité parlementaire le veut bien. Cette loi qui aurait due être frappée d'inconstitutionnalité, si le contrôle de constitutionnalité était effectif dans notre pays, annihile toute initiative en la matière dans trois de ses dispositions.
Première disposition, sur la qualité de pétitionnaire (article 5) " Tout pétitionnaire doit figurer sur une liste électorale préexistante et posséder sa carte d'électeur à l'exclusion de tout autre document administratif ou judiciaire. Toutefois, les personnes non inscrites sur une liste électorale doivent avoir atteint l'âge de la majorité électorale au jour de la signature de la pétition ".
Ensuite la certification de la qualité de pétitionnaire (article 6) " Dans chaque centre de collecte de signatures, la liste des pétitionnaires sera certifiée par l'autorité administrative à partir des registres des listes électorales et/ ou d'une pièce d'identité officielle "
Enfin les conditions de remise de la pétition à l'Assemblée nationale (article 3) "La pétition est déposée contre récépissé sur le bureau de l'Assemblée [nationale] au moins trente jours avant l'ouverture de la session ordinaire de l'Assemblée pour l'année en cours."
Au regard de ces trois dispositions sur une loi qui compte 13 articles, tout projet de pétition est voué à l'échec. Si les deux premières dispositions ( articles 5 et 6) peuvent être satisfaites, même difficilement, que peuvent les pétitionnaires devant le refus de l'autorité administrative qui doit dans chaque centre de collecte des signatures certifier la liste des pétitionnaires. Il peut prendre le temps qu'il voudra, puisque la loi ne lui impose pas un délai. C'est pourquoi Bongnessan a prévenu que l'examen et la certification des listes pourraient prendre des années et au moment de leur aboutissement, eux ils seront passés à autre chose.
Du point de vue législatif, il ne faut rien attendre de cette pétition. Mais l'initiative n'est pas totalement inutile pour autant. Il faut évidemment mettre beaucoup de sérieux dans la collecte des signatures en inscrivant non seulement le numéro du document d'identité, mais s'il y a lieu, en collectant aussi systématiquement la photocopie des pièces d'identité. Opération fastidieuse sans aucun doute, mais qui devrait montrer la détermination des pétitionnaires. On a rien sans rien.
Ensuite et sûrement l'aspect qui est considéré par les initiateurs de la pétition, c'est l'aspect symbolique de l'entreprise. On ne pourrait passer comme ça par-dessus la jambe une volonté exprimée par 30 000 citoyens. Ce serait un vrai dénie de démocratie. Si autant de citoyens peuvent s'exprimer sans être entendus, inévitablement on court devant de graves dangers. Mais en se remettant dans le contexte du vote de cette loi, on comprend facilement ses motivations. Cette loi est intervenue en mai 1994, quelques mois après la pétition du MBDHP pour la liberté de la presse. Les cerveaux du régime qui ont compris tout le danger que pouvait constituer l'initiative pétitionnaire ont entrepris dès la session qui a suivi de rendre inutilisable le droit de pétition. A l'époque, et comme très souvent, les Burkinabè n'ont rien vu et n'ont rien dit. Sauf un, à qui il faut aujourd'hui rendre hommage, le professeur Salif Yonaba qui avait dénoncé cette loi comme étant une entrave à l'enracinement de l'Etat de droit1. Comme qui dirait, ça tombe bien, dans la refondation consensuelle à venir, c'est une des lois qu'il faut rapporter. Il faut conformer la loi à l'article 98 de la constitution.
1 Salif YONABA "Sur une conquête inachevée de l'Etat de droit au Burkina Faso:
le droit de pétition d'initiative législative"
RBD N°28 P. 202