Suisse : elle a cent ans et toutes ses dents

La barre chocolatée Toblerone fête son centenaire en 2008. L'occasion pour le quotidien suisse Le Temps de raconter son histoire. Et de rétablir la vérité sur l'origine de la fameuse forme triangulaire…

"Au pire, je me suis acheté deux Toblerone et des cigarettes." En ce mois d'octobre 1995, la Suédoise Mona Sahlin, députée du Parti social-démocrate, pressentie au poste de Premier ministre, ironise à sa manière devant les caméras lors d'une conférence de presse. La politicienne est accusée d'avoir abusé de la carte de crédit fournie par le gouvernement, directement alimentée par l'argent du contribuable. L'"affaire des Toblerone", comme on l'appellera alors, déchaînera un an durant la presse suédoise, jusqu'à ce que Sahlin démissionne. Qui eût jamais cru que le Toblerone, un jour, deviendrait synonyme de Watergate ?

En Suisse et dans le reste du monde, on célèbre cette année le centenaire du célèbre "Schoggi" [en langue suisse alémanique : "chocolat"] bernois à la forme triangulaire caractéristique. Tordons d'ailleurs immédiatement le cou à une confusion trop répandue : le Toblerone n'est pas inspiré du Cervin [la montagne la plus connue de Suisse, d'aspect pyramidal quand elle est vue de Zermatt].

D'ailleurs, personne ne sait précisément pourquoi une forme triangulaire a été donnée à cette confiserie. Un tas de rumeurs circulent à ce sujet. La plus mystique prétend que, si le Toblerone est triangulaire, c'est parce que Theodor Tobler, son créateur, était franc-maçon – l'emblème maçonnique étant une équerre. Mais la version officielle est bien plus croustillante. Autour de 1900, Theodor Tobler, le coquin, se rend souvent à Paris pour affaires. Un soir, aux Folies Bergère, au moment du final, la révélation : une pyramide de danseuses. Ce n'est que bien plus tard, devant l'évidence marketing, que le mont Cervin apparaît sur les publicités de Toblerone. Les légendes sont bonnes pour les affaires…

Les débuts de l'histoire remontent à 1867, lorsque Jean Tobler, le père de Theodor, ouvre sa première usine dans le quartier bernois de la Länggasse. Ce qui n'est alors qu'un champ où s'ébattent cochons et volailles devient une chocolaterie. En 1900, le fils, Theodor Tobler, 24 ans, reprend en main l'entreprise avec des ambitions internationales. Ce qui ne va pas de soi à une époque où les barrières douanières en découragent plus d'un. Visionnaire, il ouvre une agence de vente en Angleterre. En 1908, son cousin Emil Baumann rapporte du nougat d'un voyage en Alsace. Dans la cuisine de Theodor Tobler, les deux hommes passent une nuit penchés sur les casseroles à faire des essais. Au matin, la première version du Toblerone apparaît. L'autre coup de génie a été d'emballer les dents de chocolat dans un étui.

Malgré un succès rapide, la chocolaterie Tobler subit de graves problèmes financiers dans les années 1930. Theodor Tobler meurt – d'épuisement, disent certains – en 1941. Le salut vient en 1947 avec l'inauguration en Irlande du tout premier "duty-free". Au fil des ans, le Toblerone y devient si populaire qu'il finit en tête des ventes devant l'alcool et le tabac. Pourquoi ? "Demandez à un touriste chinois quel souvenir il rapportera chez lui, il répondra : du Toblerone", explique Edith Zweifel, porte-parole de Suisse Tourisme. "C'est un concentré de Suisse, parce que sa forme rappelle le Cervin, la montagne la plus photographiée du monde, et que c'est du chocolat. C'est l'un des meilleurs ambassadeurs du tourisme helvétique. La Suisse, à l'étranger, c'est le luxe. A Tokyo où à Dubaï, c'est très classe d'offrir du Toblerone." Ce que confirment les chiffres : 96 % de la production est exportée.

Même si le Toblerone a longtemps été produit sur différents continents, c'est à Brunnen, dans la région bernoise, que se trouve aujourd'hui l'unique usine. "Pour des raisons de contrôle de la qualité, et pour enfin être clairement estampillé made in Swiss", explique Jean-Paul Rigaudeau, directeur pour l'Europe du groupe Kraft Foods, qui détient la marque depuis 1990. En 2007, les ventes globales de Toblerone ont progressé de 30 %. Et la Suisse n'y est pas pour rien, avec ses 12 kilos de chocolat ingérés en moyenne chaque année par habitant. Depuis cet été, un nouveau-né est apparu dans la famille : "Fruit & Nut", qui contient des raisins secs.

Une dernière anecdote tobleronesque, pour la route ? Fixez bien le Cervin, représenté sur l'emballage. Et vous finirez par découvrir qu'un ours se cache dans le dessin. Encore une ? Comment les vétérinaires appellent-ils les tortues dont la carapace est déformée par la malnutrition ? Des "tortues Toblerone".

Benjamin Luis
Le Temps



23/01/2008
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