Pourquoi l'affaire Guiro est-elle au garage ?

"Guiro sauvé de justesse mais jusqu'à quand ?" se demandait-on dans le n°130 de L'Evénement paru le 27 décembre 2007. Sept mois après, cette affaire de la douane n'est pas plus avancée. Le "spectacle" qui est né de l'instruction de l'affaire a abouti à un blocage et aujourd'hui, il faut repartir à zéro.
Le 10 janvier 2008, le juge Sory Stéphane a été dessaisi du dossier sur l'affaire des fausses exonérations commises à la Direction générale de la douane. Le dossier a été remis à la doyenne des juges d'instruction, Mme Fatoumata Sanou/Touré. Elle devrait instruire le dossier personnellement ou le confier à un autre juge d'instruction. Aux dernières nouvelles, il n'en fut rien de tout cela. Parallèlement à l'affaire de la douane, l'instruction d'une autre affaire, celle de la société ORYX gaz, a elle aussi été suspendue. Cet autre dossier impliquait lui aussi le directeur général de la douane, M. Ousmane Guiro. En effet, tout serait parti de cette plainte posée par la société ORYX gaz contre un de ses agents. C'est au cours d'une enquête sur l'affaire ORYX que " le lièvre " de la douane sera levé. Deux dossiers donc pour un même présumé. C'est la raison qui aura guidé le choix qui est en train d'être opéré dans le cours de ces deux dossiers. Le président du Tribunal de grande instance (TGI) de Ouagadougou aurait ordonné la jonction des deux dossiers pour en faire une seule affaire. La décision de jonction des dossiers, si elle est envisageable dans le cas d'espèce, il reste que de l'avis de certains professionnels de la justice, elle ne saurait être une imposition du tribunal. Si le président souhaite la jonction des deux dossiers, il adresse une demande aux juges d'instruction en charge des différents dossiers qui, eux, décident effectivement de l'opportunité ou non de joindre les deux dossiers. Si l'affaire de la société ORYX est moins connue du grand public, il n'en est pas de même pour l'affaire des fausses exonérations. Le dossier semblait tellement avoir avancé au point qu'on était à deux doigts de mettre sous les verrous le directeur général de la douane, l'auteur même de la plainte dans cette affaire d'exonération. Mais la décision de jonction des deux dossiers devra, si elle est exécutée, remettre à zéro les compteurs dans les deux dossiers. Et pour justifier cette mise à plat du dossier de la douane, on avance des motifs d'irrégularités qui auraient entaché l'instruction menée par le juge Sory et son intérimaire dans la conduite du dossier.

Des irrégularités commises dans l'instruction du dossier

D'abord, de la validité de la mise en exécution du mandat d'arrêt par le juge intérimaire. En effet, les textes prévoient que le juge intérimaire, même s'il est désigné par le juge titulaire, sa prise de fonction cependant est tributaire d'une ordonnance du président du tribunal. Ce qui n'aurait pas été le cas dans cette affaire de la douane. Si le juge Sory a pu confier son cabinet à un juge intérimaire sans ordonnance de la présidence, c'est parce qu'il aurait eu foi en cette pratique un peu légère qui est devenue comme une coutume dans les affaires judiciaires. A en croire certains avocats, ce ne serait pas la première fois que des juges intérimaires prennent fonction sans qu'il y ait une ordonnance signée par le président du tribunal. Le plus souvent, l'information est donnée oralement au président du tribunal qui lui aussi avise oralement. Et voici que pour cette fois-ci, la tradition devient problème. Mais le tribunal n'a pas que cela pour justifier l'irrégularité de l'instruction des juges Sory et Kaboré. Il y a aussi que les procès verbaux d'auditions n'auraient pas été dûment signés par les personnes auditionnées, toutes choses qui annulent leur validité. Dans le cadre d'une instruction judicaire, chaque personne entendue doit signer toutes les pages du procès verbal de son audition. Là également, le juge semble être passé par-dessus les textes. Même s'il y a eu des cas antérieurs où des procès verbaux qui n'ont pas été régulièrement signés ont dû l'être plus tard pour être considérés dans le dossier, ce ne sera pas le cas pour cette affaire du DG de la douane où tout est finalement à reprendre. Une autre gaffe qui ne laisse aucune chance de reprendre le dossier là où on l'a laissé, c'est l'absence de signature sur le double de l'acte de réquisition livré par le parquet au juge d'instruction. On est en droit de se demander comment toutes ces irrégularités ont bien pu se produire : maladresses, négligence ou actes posés à dessein ? L'acte de réquisition est toujours double et une signature vaut pour les deux, a-t-on appris de bonne source. Comment ne pas s'étonner que dans le cas de cette affaire, il y ait deux copies de la lettre de réquisition dont une seule est signée ? Si on est en droit d'émettre des hypothèses, c'est de dire que la copie exempte de signature n'est pas le double (le bon) de celle qui a été signée par le procureur, ce qui signifierait que le double a dû être extrait par la suite pour être remplacé par une fausse copie. Ou alors le procureur aurait signé l'acte de réquisition à dessein, de sorte à ce qu'une copie seulement soit signée et ainsi, la suite nous la connaissons.
L'affaire Guiro n'est pas seulement l'affaire de la justice. Elle est aussi une affaire administrative. Indépendamment de l'instruction judiciaire du dossier, une procédure administrative devrait être enclenchée sur l'affaire. Mais là également, les choses semblent piétiner.

La part de responsabilité de l'administration

"En cas de poursuites judiciaires pénales engagées contre un fonctionnaire, celui-ci est obligatoirement suspendu de ses fonctions. Le fonctionnaire ne fera pas l'objet de suspension lorsqu'il est poursuivi pour contravention de simple police ou pour délit d'imprudence, hormis le cas de délit de fuite concomitant ou de conduite en état d'ivresse.". Ainsi en a disposé l'article 143 de la loi 13-98/AN du 28 avril 1998 portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la Fonction publique. Visiblement, il n'y a pas que les juges Sory et Kaboré qui auraient enfreint les dispositions légales dans le dossier de la douane. Encore que pour ce qui concerne la procédure administrative, le juge d'instruction M. Sory a accompli sa part de responsabilité, pourrait-on dire. Avant qu'il ne soit dessaisi du dossier, il a eu le temps de rédiger, conformément aux dispositions de la loi sus citée, un avis de poursuite judiciaire contre M. Ousmane Guiro. L'avis de poursuite a été déposé auprès du ministère de la Fonction publique et de la reforme de l'Etat par la lettre n°2007/127/RI du 27 décembre 2007. Après le ministère de la fonction publique, la procédure devrait se poursuivre par la transmission de l'avis au ministère de tutelle de l'inculpé, en l'occurrence le ministère des Finances et du Budget. Mais aussitôt la procédure enclenchée, aussitôt la contre procédure s'est-elle aussi mise en branle. Et la dernière a eu raison de la première. Au lieu donc de la suspension du DG, c'est la procédure qui a été suspendue.

Idrissa Barry
Boukari Ouoba (stagiaire)



01/08/2008
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