Moyen-orient : La révolution, le voile et les “ruses féminines”

Les Islamistes n’ont pas seulement voulu imposer le voile aux femmes, mais les obliger à porter le même voile. Un uniforme que les femmes ont toujours contourné, constate Al Hayat. Imposer l’uniforme a toujours été une des préoccupations des mouvements religieux ou idéologiques. Les régimes et mouvements islamistes ne voudraient pas seulement que toutes les femmes portent le voile. Ils voudraient pousser plus loin l’uniformisation, et parvenir à ce que toutes les femmes portent le même voile. Et c’est contre cette homogénéisation vestimentaire que les résistances se sont organisées, que ce soit de la part de celles qui se voilent sous la contrainte ou de celles qui le font par conviction personnelle. Ainsi les femmes du Golfe, tout en gardant leur abaya noire, y ajoutent quelques fils précieux, timide manifestation d’individualité. En Iran, la révolution islamique de 1979 voulait faire rentrer toutes les femmes dans le rang, les réduisant à un corps social homogène animé d’une seule volonté, d’un seul idéal et d’un seul goût vestimentaire. Mais la vie a pris le dessus, et les Iraniennes ne se sont pas laissées embrigader.

Sitôt rentrées chez elles, elles quittent leur tchador
Dans les parcs de Téhéran, on peut voir des jeunes femmes jouer au tennis dans des vêtements suffisamment amples pour pouvoir courir après la balle. Partout, elles ont réussi à contourner les règles officielles, non seulement en laissant apparaître de plus en plus de mèches de cheveux, mais également en utilisant toutes les possibilités d’individualisation qu’offrent le strict tchador ou le manto [du français manteau] : le voile en léger tissu se transforme, laissant apparaître une bonne partie de la chevelure, le rigoureux manto est utilisé comme une ample cape portée par-dessus les “vrais” vêtements ou, au contraire, comme un “body” serré qui révèle les contours du corps plus qu’il ne les dissimule. Le voyageur constatera que, dans tous les foyers citadins, un porte-manteau trône à la porte d’entrée. Et le premier geste des femmes en arrivant dans l’appartement est de se débarrasser de leur habit “révolutionnaire”. Chez les riches bourgeois d’Ispahan, le porte-manteau se trouve même à l’entrée du jardin qui entoure leurs demeures.
En Irak, les abayas noires ont probablement été politiques, à un moment donné. Mais il s’agissait avant tout d’un phénomène sociologique, partagé entre chiites et sunnites. En tant que tel, il est moins sujet aux transformations politiques. Autrement dit, la femme irakienne n’a pas besoin d’une révolution pour s’en vêtir ou s’en dévêtir, et peut très bien porter l’abaya dans son village puis l’enlever quand elle va à la capitale.
Quant au Liban, le [mouvement chiite] Hezbollah impose ses règles [dans les zones qu’il contrôle, notamment le sud du pays et la banlieue sud de Beyrouth]. Certes, les militantes sont astreintes au port d’un tchador uniforme, à l’iranienne, mais même lorsqu’il s’agit d’un choix personnel, des résistances vestimentaires se manifestent et certaines finissent par adopter des voiles de leur propre cru. Sans parler du fait que certaines de celles qui vivent dans les milieux intégristes chiites ont réussi à s’affranchir de toutes les règles vestimentaires que le Hezbollah a voulu imposer.
C’est ainsi que dans la banlieue sud de Beyrouth, les défilés de mode “islamique” se multiplient. Des stylistes, venus notamment de Turquie, s’y appliquent à répondre à la demande de plus en plus diversifiée des femmes. Tantôt ils colorent le voile d’une nouvelle teinte, tantôt ils ajoutent un détail emprunté à la mode “non islamique”. Se renseignant auprès du Hezbollah pour les règles générales, ils arrivent à jouer au plus fin avec les interdits, sans jamais dépasser les bornes. Ainsi l’uniformité vestimentaire est-elle de plus en plus limitée aux grandes occasions, quand les défilés et meetings du Hezbollah rassemblent des foules de militantes toutes voilées à l’identique.
Dans un village du sud du Liban [à majorité chiite], j’ai connu une famille originaire de la ville de Nadjaf [sanctuaire des chiites], en Irak. Durant les années 1960 et 1970, les femmes de cette famille y allaient au marché avec une abaya noire traditionnelle. Mais elles la portaient comme une sorte de pèlerine sur l’épaule, tout en laissant flotter leurs cheveux au vent. Quand elles allaient à Beyrouth, elles s’habillaient comme le voulait la mode de l’époque, sans aucun voile. Faudra-t-il aujourd’hui une nouvelle révolution pour retrouver ce passé perdu et quitter l’uniforme noir ? Hazem Al-Amin
Al Hayat



01/02/2008
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