Maroc : La drogue aux portes des écoles

Au Maroc, la consommation de stupéfiants se banalise chez les jeunes. Toutes sortes de produits circulent aux abords des écoles. Les associations tirent la sonnette d'alarme.

A deux pas de son lycée de Casablanca, Mehdi tire une grosse bouffée de son joint. Profonde inspiration, regard dans le vague, les minutes coulent lentement. A peine sortis, Hamza et Hamid se joignent à lui. Le joint tourne. Tarik Eddaou échange quelques mots avec eux. Pur produit du quartier, le jeune homme de 27 ans a, lui aussi, passé des heures à tuer le temps. Aujourd'hui vice-président de l'association Al-Intilaqa pour l'enfance et la jeunesse, qu'il a créée, il y a cinq ans avec une cinquantaine de copains, il s'inquiète de la banalisation de la drogue dans les lycées et les collèges des quartiers populaires de Casablanca.

"A mon époque, celui qui fumait des joints devait le faire un peu en cachette, cela faisait mauvais genre. Maintenant, les jeunes prennent de plus en plus tôt des drogues de plus en plus dures et c'est celui qui ne touche à rien que l'on montre du doigt", s'exaspère-t-il. Son association a fait le tour de onze lycées et collèges pour sensibiliser les jeunes sur les dangers de la drogue et la prévention des maladies sexuellement transmissibles (MST). Quelque 12 000 questionnaires ont été remplis par les élèves. "Près de 90 % des élèves avaient déjà consommé de la drogue. Même les filles étaient concernées avec des ‘après-midi chicha' organisées entre elles, où le haschich remplace le tabac et la bière, l'eau", commente-t-il.

Beaucoup ne se contentent pas d'un simple joint. Vendu en petit gâteau à 3 dirhams [0,27 euro] et à 5 dirhams [0,45 euro] la dose en sachet, le maâjoune a le vent en poupe. Ce mélange d'huile de kif, de noix de muscade et d'autres épices se vend à deux pas des établissements scolaires. "Des marchands ambulants viennent en vendre devant les écoles et les collèges", s'énerve Mohamed Harir, éducateur à l'association L'Heure joyeuse, qui organise des caravanes antidrogue dans les quartiers défavorisés des périphéries de Casablanca. Lui aussi s'inquiète de la montée de la consommation de stupéfiants : "Dans les collèges et au lycée, cela devient de plus en plus banal. A Marrakech, nous avons trouvé des gamins qui consommaient dès l'école. Les dealers n'hésitent pas à s'attaquer à un public de plus en plus jeune". Hamid, 15 ans, a tenté le voyage il y a deux ans. "La première fois que j'ai pris du maâjoune puis du karkoubi, c'était pour faire comme les autres. Aujourd'hui, ça me permet d'avoir de l'assurance avec les filles et d'être défoncé en cours au lieu de m'ennuyer", lance-t-il. Tout le monde acquiesce quand il vante à la cantonade le plaisir d'"aller dans les salles de jeux" pour se payer des virées dans l'artificialité exaltée. A voix plus basse, il avoue "envier au final ceux qui ne prennent rien" et vouloir "arrêter, parce que ça n'est pas bon pour la santé". Pour tenter de faire face, les autorités ont fermé plusieurs établissements mal famés. "Ces salles de jeux qui pullulent autour des collèges et des lycées sont vraiment nos bêtes noires. Les dealers y vendent en toute discrétion du kalla (mélange de tabac à priser et de cendre qui se place sous la langue), du haschich et du maâjoune à des gamins de plus en plus jeunes. On a beau en fermer, il s'en ouvre toujours de nouvelles", s'agace Tarik Eddaou.

L'agacement fait parfois place à la colère. Quelques mois après la mort d'un collégien sans histoires, le quartier Moulay Cherif est encore sous le coup de l'émotion. "Il s'est pris un coup de couteau dans le ventre. L'agresseur était complètement stone au karkoubi. Quand il a repris ses esprits et compris ce qu'il avait fait, il était trop tard", enrage Tarik Eddaou. A 30 dirhams [2,70 euros] la petite pilule blanche tout droit venue de la contrebande algérienne, ce puissant psychotrope est aussi accessible que ravageur.

"J'ai des élèves timides, qui ne disent jamais un mot, et qui un beau jour ne tiennent plus en place sur leur chaise, prennent la parole pour un oui pour un non et draguent les filles en cours", témoigne Fatima. Ce professeur de français partage son temps entre un lycée public et un lycée privé. Selon elle, la drogue circule autant dans les établissements populaires que chez les jeunes privilégiés. "Ce sont juste les types de drogues qui changent, selon les moyens, observe-t-elle. D'un côté, on trouve les drogues pas chères comme le maâjoune, le kalla et même le ‘silissioune'(colle à rustines que l'on sniffe). De l'autre, du cannabis et des psychotropes." Pour elle, il y a urgence à prendre le taureau par les cornes. Mais, au royaume des paradis artificiels, "la consommation de drogues par les élèves reste encore le grand tabou".

Repères
Les autorités marocaines ont intensifié en 2008 leurs efforts contre le trafic de drogues. Les opérations prioritaires ont porté sur la destruction de 50 % des surfaces de culture du cannabis et sur la réduction de 61 % de la production de résine de cannabis, selon le ministère de l'Intérieur marocain. Les saisies ont été multipliées, et notamment celles de psychotropes tels que le karkoubi, qui fait des ravages chez les jeunes et accroît la criminalité. Le Maroc vient également de créer avec l'Espagne un organe conjoint de lutte contre la drogue. En revanche, les pouvoirs publics restent absents sur le plan de la prévention et de la sensibilisation des jeunes. Seules quelques initiatives locales abordent le sujet, pourtant de plus en plus présent dans la presse marocaine.

Amélie Amilhau
Le Journal hebdomadaire



24/11/2008
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