Marcel Kafando est mort, mais les " AUTRES " sont encore là !

Condamné à 20 ans de réclusion dans l'affaire David Ouédraogo, seul inculpé dans le dossier d'assassinat du journaliste Norbert Zongo puis relaxé pour cause de rétractation de témoin, Marcel Kafando purgeait sa peine à son domicile en raison de son état de santé déficient. Il est mort le 23 décembre dernier au moment où les chrétiens du Burkina se préparaient fébrilement à célébrer la fête de la Nativité. Manifestement, l'homme avait décidé de porter sa croix, prenant sur lui de payer pour d'autres. Mais avait-il vraiment le choix, lui dont la vie fut entièrement consacrée à ses maîtres ? Avec sa disparition, l'on est en droit de se demander si le dossier Norbert Zongo n'a pas été enseveli avec lui ?

14 janvier 2001-23 décembre 2009, Marcel Kafando aura vécu un peu moins de 9 ans depuis que nous l'avions rencontré pour la première fois à la Maison d'Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO). Nous avions gardé un souvenir intact de cette rencontre tant elle nous avait marquée. Sans même avoir été annoncé, l'homme nous avait reconnu aussitôt. Quand nous lui avons demandé s'il nous connaissait, sa réponse fut sans équivoque : " Bien sûr que je vous connais ! Qui ne vous connaît pas ? (...) Nous étions amenés par les fonctions que nous occupions, ajoute-t-il à connaître un certain nombre de personnalités qui interviennent dans la vie nationale… ". En franchissant la porte de la MACO, nous avions à l'esprit que nous allions à l'encontre d'un tueur, tant sa réputation en la matière était solidement faite. A vrai dire, nous ne l'avions jamais vu avant le procès David Ouédraogo à l'occasion duquel tout le Burkina découvrait enfin les visages de ces hommes sur lesquels circulaient des histoires terribles. La visite se situait à peu près une semaine après le décès d'Edmond Koama qui fut son co inculpé dans le même procès. Déjà pour Marcel aussi, les choses n'allaient pas très fort. Des rumeurs circulaient sur sa mauvaise santé et nous nous inquiétions sur la loi des séries qui risquait de nous priver d'un procès sur l'affaire Zongo. Quand nous lui demandons comment va sa santé, il répond avec un brin d'ironie que s'il ne se porte pas comme un charme, il ne se trouve pas non plus à l'article de la mort comme nous l'annoncions dans les colonnes de L'Indépendant. Il nous avait parlé d'un mystérieux mal : Tout est parti d'un bouton sur son front gauche à la lisière des cheveux ; ce bouton lui occasionnait de sévères maux de têtes. Pendant les pics de douleurs, il avait l'impression que sa boule volerait en éclats tant il avait mal. Quand les choses allèrent mieux de ce côté, grâce à des soins intensifs, le mal s'est déplacé vers l'œil qui a enflé jusqu'à ce qu'il en perde l'usage. C'est ainsi que nous avions rapporté sa propre description du mal qui le rongeait. Que s'est-il passé pour que ce mystérieux mal quitte la tête pour frapper de paralysie ses membres inférieurs ? Nous ne le savons pas. Après cette première visite à la MACO, nous avons rendu visite à quatre reprises à monsieur Kafando à son domicile de Gounghin. Nous avions fini par entretenir une certaine familiarité avec lui dans l'espoir qu'il finira par nous confier ce qu'il sait de l'assassinat de notre ami Zongo. Notre conviction était établie qu'il avait concouru d'une manière ou d'une autre à sa mise à mort. Cette certitude se fonde sur quelques témoignages de personnes qui le connaissaient bien, mais qui, pour des raisons évidentes, ne pouvaient ni se présenter devant la CEI ni devant le juge Wenceslas. Du reste, une des raisons pour lesquelles le juge Wenceslas lui-même n'avançait pas, ce n'est pas faute de témoins crédibles, mais bien plutôt parce que les témoins refusaient de déposer dans les formes juridiques requises. Sur l'affaire Zongo, M. Kafando était assez disert. " Je ne l'ai pas tué, nous-a-t-il dit, un jour. " " Mais qui l'a fait ? ", interrogeons-nous. " Vous le saurez un jour. ", rétorque-t-il. L'homme savait pertinemment qu'il ne pouvait pas nous convaincre en s'en tenant à cette réponse lapidaire. Il préférait plutôt s'exprimer sur le préjudice moral que lui a causé cette affaire, sur la prière à Dieu dans laquelle il retrouve la paix intérieure. Nous avons fini par nous convaincre qu'il a décidé de ne jamais s'ouvrir sur ce dossier. Il avait bien essayé de se soulager selon une source auprès de son conseil, mais visiblement, ce dernier ne le souhaitait pas. Cela se situait au plus fort de la contestation du Collectif contre l'impunité au moment où la situation politique était très incertaine. Quand Blaise a repris la main, il apparaissait totalement inutile de prendre des risques sauf à vouloir se confesser à Dieu. D'autant que les services militaires de la présidence semblaient le marquer à la culotte. Mais les choses ont changé lorsque la situation s'est normalisée. Les visites des hommes de la présidence sont devenues rares pour finir par cesser, selon certaines sources.

A-t-on tout fait pour sauver Marcel ? Il est permis d'en douter. L'impression qui se dégage, c'est qu'on s'est contenté du service minimum. Marcel avait été radié des effectifs de l'armée. Il était donc officiellement sans moyens pour se soigner. Tant qu'il restait sous les liens de la prévention, il pouvait continuer à présenter un certain intérêt pour ses protecteurs. Avec le non lieu, il y avait le risque qu'il soit totalement abandonné à lui-même. Il nous a du reste confié un jour qu'il était dans le dénuement et qu'il souhaitait que l'on lui vienne en aide. La requête n'avait pas de destinataire précis, mais ça s'adressait sans aucun doute à Robert Ménard qui était avec nous ce jour-là. Nous n'avons pas réagi sur place, mais par la suite, commentant le propos, le patron de Reporters sans frontières (Rsf) à l'époque avait trouvé la démarche assez osée. Il appartenait à ceux qui l'ont mis dans cette situation de prendre leurs responsabilités. S'il persiste à cacher l'identité de ses commanditaires, c'est qu'il y trouve un intérêt. Mais pour nous, tout cela n'était que feinte et simulation. Avec le recul, il est possible que Marcel ait été dans un réel besoin. Ces hommes sont capables de tout. On l'a vu avec le jeune Moïse Ouédraogo et son cousin, pleins de sollicitude quand on cherchait à contrer la manifestation de la vérité sur le cas de David Ouédraogo et que l'on a abandonné à eux-mêmes quand on a estimé en avoir tiré un profit suffisant. On retrouve ce comportement quand il s'agit de personnes qui gênent. A contrario, ils sont aussi capables de générosité débordante quand il s'agit d'un ami. Les exemples sur ce chapitre sont également foison. A ceux qui sont dans un lien de servitude, il leur revient de savoir jouer sans se compromettre. Autrement, vous subissez le sort du citron pressé.

La mort de Marcel éteint-elle l'affaire Zongo ?

Il est évident que la disparition du personnage clé du dossier Zongo complique davantage la manifestation de la vérité. Mais tant que d'autres acteurs directs de l'assassinat sont en vie, des risques continueront de planer sur les commanditaires. Dans la liste des suspects sérieux, deux sont morts. Reste quatre, sans compter de probables acteurs dont les noms n'ont pu être dévoilés. Comme la vie n'est pas un long fleuve tranquille, l'histoire peut nous réserver d'heureuses surprises. Si Marcel a été le seul inculpé du dossier, c'est pour des raisons de stratégie politique. C'est apparemment le seul dont on était sûr qu'il ne trahirait pas. C'est pourquoi on a décidé de le sacrifier tout en manoeuvrant pour le sauver. Les jeunes soldats qui étaient probablement des exécutants n'étaient pas suffisamment trempés pour résister aux conditions carcérales dans la durée. Ki-Zerbo avait dit à propos des assassins de Norbert Zongo : "S'ils échappent à la justice des hommes, ils n'échapperont pas à celle de Dieu. " Si la loi des séries est l'œuvre de Dieu, il y a belle lurette que l'heure du jugement dernier a commencé à sonner ! NAB



20/01/2010
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