Inde : Des justicières en sari

Face à l'inaction des autorités et à la violence quotidienne qu'elles subissent, des femmes prennent les armes et leur destin en main. Le site d'informations Asia Sentinel, basé à Hong Kong, a rencontré ces "Robin des Bois" d'un autre genre.

Le district de Banda, dans l'Etat de l'Uttar Pradesh [dans le nord du pays], l'un des moins développés de l'Inde, défraye la chronique. C'est dans cette région du nord que sévit le Pink Gang [le gang rose], un groupe de 200 femmes qui se présentent comme les héritières de Robin des Bois. N'hésitant pas à répondre à la violence par la violence, ces redresseuses de torts punissent les assassinats d'épouses dont se rendent coupables certaines belles-mères, les sévices conjugaux, voire la corruption ou l'incapacité des élus. Ces femmes exubérantes et intrépides, reconnaissables à leurs saris roses, sont les ennemies jurées des maris violents et des fonctionnaires incompétents. Ayant personnellement subi des sévices sexuels, elles traquent les violeurs et les époux indignes, font la morale aux malfaiteurs et envahissent les postes de police pour réprimander les agents qui ne font pas leur travail.
Créé en 2006 par Sampat Pal Devi, une femme de 45 ans mariée de force à l'âge de 9 ans et devenue mère quatre ans après, ce groupe agit comme une bande de justicières dans la zone de non-droit qu'est Banda. "Personne ne vient à notre secours, ici. Les fonctionnaires et la police sont corrompus et hostiles aux pauvres. Aussi sommes-nous parfois obligées de faire respecter la loi par nous-mêmes. Nous sommes une bande de justicières, pas un gang", a récemment déclaré la fondatrice du Pink Gang. Excédée par la corruption du système et les discriminations sociales dont se rendent coupables les autorités [notamment à l'égard des femmes, des basses castes et des intouchables], Sampat Pal Devi a décidé de passer à l'acte en apprenant que sa sœur avait été traînée par les cheveux dans la cour de sa maison par son mari alcoolique.
Souhaitant "donner une leçon aux hommes fautifs", elle a rassemblé des femmes de son quartier ; le groupe, armé de bâtons, de barres de fer et d'une batte de cricket, est allé trouver le beau-frère, l'a pourchassé jusque dans un champ de canne à sucre et roué de coups. Certaines actions sont couronnées de succès. Ainsi, le groupe a réussi à restituer à leurs maris respectifs onze filles qui avaient été jetées dehors par leur belle-mère en raison de leurs dots insuffisantes.
De façon générale, les indicateurs de développement humain du district sont évidemment très médiocres. Le taux d'alphabétisation féminin plafonne à 23,9 %, contre 50,4 % pour les hommes ; le ratio hommes/femmes est de 846 femmes pour 1 000 hommes, alors que la moyenne de l'Etat est de 879 [et qu'au niveau international le rapport est inversé : 105 filles pour 100 garçons]. Et, si la violence conjugale fait des ravages, l'arriération des femmes est encore renforcée par le poids du système de castes.
Mais le Pink Gang s'en prend aussi bien aux maris qui brutalisent leur femme parce qu'elle ne réussit pas à leur donner un fils qu'aux fonctionnaires qui s'enrichissent en vendant au marché noir des céréales subventionnées par l'Etat et normalement destinées aux plus pauvres. Alors que les ressources naturelles du district pourraient normalement assurer des moyens de subsistance à tous les habitants, elles sont pillées par un petit nombre d'entre eux en toute impunité parce que les autorités locales ferment les yeux sur ces agissements. Dans certains villages, les paysans ne sont même pas payés et ne reçoivent qu'un kilo de céréales par journée de travail. Et le nombre de travailleurs réduits en esclavage reste très important.
Selon certains sociologues, le seul espoir pour toute une frange de la population spoliée et méprisée réside dans des mouvements collectifs comme le Pink Gang. Même si le groupe n'a pas de bureau, ses membres se réunissent régulièrement chez sa fondatrice pour discuter des cas à traiter et de la stratégie à adopter. L'apparition d'une milice de femmes dans le district de Banda est le symptôme des graves problèmes sociaux qui traversent la société indienne. "Lorsque les élus refusent de répondre aux demandes des citoyens ordinaires", observe Prerna Purohit, un sociologue de New Delhi, "ces derniers n'ont pas d'autre choix que de prendre les choses en main par eux-mêmes. C'est un coup de semonce pour le gouvernement de la plus grande démocratie du monde."
Asia Sentinel



01/02/2008
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 4244 autres membres