Hamilton, la jolie face du multiculturalisme

Le Britannique Lewis Hamilton est devenu le 2 novembre 2008, à 23 ans, le plus jeune champion du monde de l'histoire de la F1. Le quotidien The Guardian revenait l'année dernière sur le parcours de ce surdoué qui est également le premier pilote noir de F1.

"Quand je le vois à la télé, c'est plus fort que moi, je pousse des cris d'encouragement", avoue Kieron Rablah, qui a grandi à Stevenage. "Je n'avais pas regardé une course de Formule 1 depuis dix ans. Mais, quand je le vois dans son bolide, j'ai toujours à l'esprit qu'il est originaire de Stevenage [Grande-Bretagne]… qu'il est un jeune Noir de Stevenage. Ce n'est pas seulement le fait qu'il se soit hissé à ce niveau, ce qui serait déjà formidable dans n'importe quel sport, mais qu'il réussisse en Formule 1. Quand on vient de Stevenage, la Formule 1, c'est comme le polo."

En réalité, comme moi, Lewis Hamilton vient de Stevenage, une ville nouvelle de 80 000 habitants située à une cinquantaine de kilomètres au nord de Londres. Les urbanistes qui l'ont conçue ne se souciaient guère de la vitesse automobile. Ils se sont installés devant leur planche à dessin avec l'assurance de cette génération qui a construit le NHS [le système de santé britannique] et l'Etat-providence pour créer le meilleur réseau routier possible. Comportant un seul feu tricolore, les rues sont reliées par une vingtaine de ronds-points. Indiquer le chemin jusqu'à chez nous était on ne peut plus simple : prendre le sixième rond-point après la sortie de l'A1, puis tourner à droite.

Tels étaient nos points de repère et la source de fierté locale. Nous ne parlions pas avec un accent particulier, nous n'avions ni site touristique ni club de football. Mais nous vivions à Stevenage et nous nous contentions de ce que nous avions. C'était un merveilleux endroit où passer son enfance. Les écoles étaient bonnes. Nous disposions d'une salle de bowling, d'une piscine et d'un immense lac artificiel. Ma mère vantait la fluidité de la circulation automobile et les pistes cyclables, même si nous n'avons jamais eu de voiture et pas toujours de vélos.

Et maintenant nous avons Lewis Hamilton. Il n'est pas la seule personne originaire de la ville à devenir célèbre : on relève également les noms de quelques joueurs de football, comme Ashley Young, qui joue à Aston Villa. Mais cela fait un choc chaque fois. "C'est comme si nous étions l'enfant mal-aimé de la planification d'après-guerre", commente David Legget, lui aussi de Stevenage. "C'est un coin tranquille, où il ne se passe rien et qui n'a jamais été très à la mode."

Des qualités exceptionnelles

Il y a déjà longtemps qu'Hamilton a entamé son ascension vers la gloire. A 5 ans, il participe à Blue Peter [célèbre émission pour enfants de la BBC] et gagne une course de voitures téléguidées. A 8 ans, il se lance dans le karting et rafle tous les titres en jeu. A 10 ans, vêtu d'un costume en soie qu'il a emprunté, il aborde le patron de l'écurie McLaren, Ron Dennis, et lui fait part de son désir de piloter pour lui. "Reviens me voir dans neuf ans", écrit Dennis dans son livre d'autographes. Deux ans plus tard, ils commencent à travailler ensemble."Pour réussir en Formule 1, il faut se trouver un protecteur", explique le chroniqueur Martin Jacques, amoureux de ce sport. "Jadis, il suffisait d'avoir de l'argent pour piloter. A l'époque, c'était réservé aux aristocrates. Maintenant, c'est l'affaire des entreprises." Lewis a trouvé en Dennis un patron dévoué. "A l'exception de quelques Japonais et de quelques mécaniciens noirs, la Formule 1 est vraiment un sport de Blancs. C'est vraiment encourageant que Dennis s'investisse autant pour Hamilton", se félicite Jacques.

Les parents de Lewis, Carmen et Anthony, se sont séparés quand il avait 2 ans. Il a vécu avec sa mère jusqu'à l'âge de 10 ans, puis s'est installé chez Anthony, dont le père était originaire de la Grenade, et Linda, sa belle-mère. Anthony décela le talent extraordinaire de son fils et lui apporta tout son soutien. Au Royaume-Uni, un lien aussi fort entre un père et son fils est rare et touchant. Le seul Noir qui ait touché l'imaginaire national en tant que figure paternelle est Neville Lawrence, et il a fallu pour cela que son fils soit assassiné*.

Lorsqu'un journaliste voulut rencontrer Hamilton sur une piste de karting, on lui répondit : "C'est le seul gosse noir de l'endroit, avec trois tours d'avance sur les autres." Hamilton avait 12 ans. Il a grimpé en trombe la hiérarchie du sport automobile. "On n'entre pas en Formule 1 et l'on n'y excelle pas sans qualités exceptionnelles", affirme le Pr Ben Carrington, de l'université du Texas à Austin, qui fait autorité en matière de sociologie des races et du sport. "La Formule 1 est en effervescence. On craignait qu'avec le départ à la retraite de Schumacher il n'y ait plus d'enjeu sportif. Maintenant, on a un pilote vraiment rapide qui suscite l'intérêt du public. Il est jeune, noir, charmant et beau."

Différent, mais pas trop

En 1985, l'année de la naissance de Hamilton, ma mère m'a appelé, en pleurs, de l'école où elle enseignait et m'a demandé de venir la chercher. Des enfants avaient gravé des insultes racistes sur le bureau qu'elle devait regarder tous les jours. L'incident était symptomatique de la façon pernicieuse dont le racisme se manifestait à Stevenage – mesquin et persistant, mais épisodique plutôt qu'endémique. A l'occasion, il pouvait prendre un tour violent (plus tard, la même année, des hommes m'ont chassé d'un train au cri de "sale Nègre"). Il était chronique et donc impossible à ignorer, mais pas envahissant au point de vous miner.

Les Noirs représentent à peine 1 % de la population de Stevenage. Si on était deux dans la rue, on avait l'impression d'être en groupe. Le peu de confiance que nous procurait notre appartenance raciale, nous la devions à la musique, au cinéma et peut-être à la littérature. Le bon côté des choses était que les clichés avaient moins d'intensité. Je jouais du tuba dans l'orchestre des jeunes et j'ai remporté le tournoi d'échecs local. Si quelqu'un pensait que je n'étais pas à ma place, personne n'en a rien dit.

La transition entre le fait d'être le seul et celui d'être le premier est bien plus importante pour les autres que pour Hamilton, puisqu'il n'a probablement jamais connu autre chose. "Il n'a pu prendre personne comme modèle, comme cela aurait été le cas s'il faisait de la boxe ou jouait au football", souligne Carrington. Les Noirs de Stevenage pèsent bien plus lourd que leur poids démographique. En 1987, Albert Campbell est devenu le premier maire noir. Ashley Young et Lewis Hamilton étaient à l'école en même temps. Aujourd'hui, les Noirs de Stevenage représentent 100 % des enfants célèbres de la ville. On ne sait pas vraiment comment Hamilton a vécu les relations raciales à Stevenage. Les autres évoquent constamment sa race. Parfois explicitement. "Il a quelque chose de différent – il est le premier pilote de Formule 1 noir –, ce qui lui ouvre un marché entièrement nouveau", assure Dominic Curran, un directeur de Karen Earl Sponsorship. Un commentaire posté sur le site YouTube a laissé entendre qu'il s'est "entraîné en volant des voitures". D'autres accusations se font plus voilées. On l'a comparé à Tiger Woods, Theo Walcott et Amir Khan, mais rarement à Nigel Mansell, James Hunt ou David Beckham.

D'ailleurs, lui-même ne le fait pas non plus. Il n'en a pas le droit. Il y a beaucoup d'argent en jeu en Formule 1, et ses attachés de presse ont interdit aux journalistes de lui poser des questions d'ordre racial ou ethnique. Nous savons qu'enfant il a appris le karaté pour se défendre contre ses agresseurs, mais nous ignorons quel genre d'agressions il subissait. Il écoutait Bob Marley, 50 Cent et 2Pac, mais il en était de même pour de nombreux gosses blancs de Stevenage.
Qu'il ait surgi à un moment aussi difficile pour l'identité nationale et raciale du pays est plus qu'intéressant. "Dans des périodes comme celle que nous vivons, quelqu'un comme Hamilton peut devenir la face acceptable du multiculturalisme britannique, estime Carrington. Il est originaire de Stevenage et non de Moss Side [quartier sensible de Manchester] ou de Chapelton. Il est métis. Il est affable et modeste. Il vient d'une famille stable et il est proche de son père. Il représente la différence sans être trop différent."

* Stephen Lawrence, 18 ans, a été assassiné en 1993. En 1999, une commission chargée d'expliquer pourquoi ce meurtre raciste n'a jamais été élucidé a dénoncé le "racisme institutionnalisé" au sein de la police. La famille Lawrence est devenue un symbole de la lutte antiraciste.

Gary Younge
The Guardian



08/11/2008
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