Filière coton : Maigre moisson pour le Burkina

La filière coton du Burkina est au bord du gouffre. Les sociétés cotonnières du pays n'ont eu d'autre choix que de l'avouer aux cotonculteurs.
Du premier rang en 2005 avec 700 000 tonnes, la filière peine, depuis ces trois dernières campagnes agricoles, à dépasser la barre des 400 000 tonnes. L'introduction du coton OGM n'a pas arrêté la chute de la production. Pour cette campagne, on n'attend pas plus de 350 000 tonnes.

C'est la deuxième grave crise que traverse la filière. En 1996 déjà, elle avait failli disparaître. Pour la sauver, on avait inventé la " caution solidaire ". Il semble aujourd'hui que la crise actuelle est en partie imputable à cette caution. Le remède de 1996 est devenu à présent la cause des impayés qui s'élèvent à plus de 4 milliards que le gouvernement s'est engagé à éponger. Mais la caution solidaire avait permis la relance de la filière, même si elle n'a pas œuvré au rapprochement entre cotonculteurs et sociétés cotonnières. Les premiers estimant qu'ils sont exploités et rémunérés en dessous de leurs efforts. Cette situation a progressivement entamé l'ardeur des cotonculteurs et les productions ont commencé à chuter. Pour certains, le boom cotonnier enregistré en 2005 ne serait pas totalement burkinabè. Pour atteindre ce tonnage, il fallut prendre en compte la production du Nord de la Côte d'Ivoire, sous contrôle des Forces Nouvelles, et qui est écoulée au Burkina par le circuit de la SOFITEX. Le Syndicat national des travailleurs de l'agropastoral (SYNTAP) accuse le gouvernement burkinabè d'avoir abandonné ses propres paysans en raison de cette production " pirate " qui venait combler le déficit de la production nationale. Le gouvernement estime qu'il s'agit de propos de détracteurs "en manque d'arguments".
Ce qui est cependant indiscutable, c'est la chute de la production depuis au moins quatre campagnes. Malgré les efforts pour relancer la filière au cours de cette campagne cotonnière 2009-2010, la production est largement en deçà des prévisions. L'introduction du coton génétiquement modifié n'a pas permis de renverser la tendance. Les superficies emblavées ont été réduites au fil des campagnes et les rendements ont suivi la tendance baissière. Les mesures incitatives du gouvernement et les promesses des producteurs lors des comités de crédit ont montré que les principaux acteurs ne croient plus à l'or blanc. Sur une prévision de 450 000 tonnes sur 415 000 hectares, ce sont 369 000 hectares qui ont été emblavés contre 392 000 hectares pour la campagne écoulée. La production attendue est de 370 000 tonnes contre 384 000 tonnes pour la campagne précédente.
Les causes de cette chute du coton sont bien connues par les techniciens de la Sofitex. Ce qui est difficile à saisir, c'est la mise en œuvre des solutions en pareilles situations. Officiellement et ce, depuis que le coton est en crise, les caprices de la pluie, la non maîtrise ou la non application des paquets techniques sont les causes avancées pour expliquer les performances.

"On n'a pas l'argent"

La réalité se situe pourtant au niveau du prix du coton. Ce prix n'est pas intéressant. Les producteurs produisent depuis des années à perte. Les plus chanceux sont ceux qui parviennent à éponger leur crédit intrants. Les autres (ils sont les plus nombreux) n'arrivent plus à payer leur crédits intrants et se retrouvent ainsi endettés et enchaînés.
Selon la Sofitex, les problèmes des filières dépassent largement les compétences des sociétés cotonnières et du gouvernement. Elle affirme d'ailleurs que des efforts sont déployés pour permettre aux producteurs de tirer profit de leur travail. Il s'agit du maintien des prix de cession des intrants agricoles grâce à la subvention de l'Etat et de l'apurement des impayés internes accumulés par les groupements des producteurs.
La crise actuelle du coton est en partie une conséquence directe de la crise financière internationale. Les banques qui placent le coton sur le marché international ont été durement touchées par cette crise. Ils n'ont pas voulu délier le cordon de la bourse. Les responsables ont montré que le destin des producteurs est entre les mains de ces banques. Lorsqu'elles toussent, les producteurs pleurent. Ce qui a été bien visible cette année. Les producteurs ont perçu leur argent pour les récoltes de la campagne cotonnière 2008-2009 à partir du mois de mai pour les plus chanceux. D'autres ont été payés en septembre, donc à la fin de la campagne suivante. " On n'a pas l'argent, il faut qu'on vous dise la vérité ", a lancé un responsable de la Sofitex.
Cet argument pouvait être solide aux yeux des producteurs si entre temps la Sofitex n'avait pas annoncé que les bourses financières se portaient de mieux en mieux. La société ne voit pas de contradiction en cela. Elle indique que la crise financière n'est pas totalement enterrée et à cela, il faut bien ajouter la baisse de la valeur du dollar. Le coton se négociant sur le marché international en dollar, il est donc normal que la chute de sa valeur ait des répercussions sur le prix du coton. Les producteurs ne doivent pas s'attendre à une hausse du prix du coton tant que les banques et le dollar ne se porteront pas mieux. "Il faut croiser les doigts et prier", a demandé le responsable aux producteurs de la Sofitex.
C'est un langage de vérité et de transparence que la Sofitex a voulu adresser cette fois-ci à l'endroit de ses producteurs dans sa tournée d'échange sur la commercialisation de la campagne 2009-2010. Mais il en faut plus pour récréer la confiance. C'est un climat de méfiance et de suspicions qui s'est installé entre producteurs et les sociétés cotonnières. Les premiers accusent les autres de les gruger. Ces échanges ont été l'occasion pour les producteurs de vider leur colère.
Cette année est particulière à cause du grand retard dans le paiement. Les producteurs ne pardonnent pas à la société ce retard quelles que soient les raisons avancées. D'ailleurs, ils n'y croient pas à cette crise financière et cette baisse de dollar qui ne seraient, selon eux, que des alibis. Ce n'est pas la première fois que l'argent accuse un retard, disent-ils. " C'est devenu une tradition ", clament-ils. Le retard cause un préjudice énorme. Les producteurs s'endettent pour la main d'œuvre, la récolte, la scolarité, la santé et les autres urgences. En principe, pour eux, le coton est la culture qui doit leur apporter de l'argent et les céréales réservées à l'alimentation. Un calcul qui ne tient pas, obligeant du coup les producteurs à brader les céréales pour faire face à ces problèmes. "L'argent de la Sofitex, c'est le médecin après la mort. Il arrive au moment où nous avons vendu nos céréales et nos animaux et on s'est endetté", a rappelé un cotonculteur de Kouka dans la province de Banwa.
Certains producteurs privilégient donc les céréales. Les intrants sont utilisés dans les céréales et une faible quantité pour le coton. L'essentiel pour ces derniers, c'est produire pour éponger le crédit intrants. Une pratique que la Sofitex compte combattre. "En venant ici, c'est des céréales que j'ai vendu pour réparer ma moto. L'argent du coton n'est pas encore tombé", a répliqué un producteur à Dano.

                   

Une rupture de confiance  entre les deux parties

Ce qui est encore plus grave pour la société cotonnière, c'est la vente des intrants par les producteurs. La Sofitex les a interpellés sur ce comportement qui cause de nombreuses pertes au niveau de la production, notamment le rendement. Une faute que les producteurs reconnaissent, mais réaffirment que les intrants seront vendus, parce que ce sont les sociétés qui ont créé les conditions. Les producteurs sortent sans un sou à chaque campagne et se retrouvent ainsi endettés. De plus en plus, les intrants sont servis avant la paye de la campagne écoulée. Il n'est donc pas étonnant qu'ils bradent les intrants. A Padema, dans le Houet, des producteurs ne se sont pas gênés de déclarer à Abedine Ba, un inspecteur de la Sofitex, qu'ils continueront de vendre les intrants. Ils lui ont fait savoir que les reproches qui leur sont faits valent aussi pour les agents de la Sofitex qui ne sont pas aussi propres comme ils veulent le faire croire. Certains pensent que cette situation est même entretenue par la Sofitex. Les deux parties ne s'accordent pas sur les modalités de livraison des intrants. La société veut coupler l'enlèvement du coton avec la livraison des intrants de la prochaine campagne afin de réduire les dépenses du transport. Les producteurs, eux, n'apprécient pas cette mesure qui apparaît comme une incitation à la vente des intrants. Ils préfèrent que la livraison des intrants coïncident avec le début de la campagne.
Ce qui semble évident, c'est l'inégalité des rapports de force dans cette collaboration. Les cotonculteurs sont convaincus que les sociétés cotonnières ont tout mis en œuvre pour tirer le maximum de bénéfices. Pour ce qui concerne cette campagne, l'installation tardive des pluies suivie des inondations ont contribué à la baisse des rendements. Les techniciens de la Sofitex ont même recommandé en début de saison aux producteurs, les abords des bas- fonds, en prévision de la faible quantité de pluie pour cette saison. En principe, la Société devrait donc tenir compte de ces éléments pour le conditionnement. Une doléance qu'elle a rejetée, estimant qu'il est difficile de tenir compte de ces aspects dans les affaires. "Si on prend ça en compte, on va fermer. Ce sont des affaires", a indiqué, Innocent Yago, un autre inspecteur de la Sofitex.
La collaboration entre les deux parties est complexe. Les premiers estiment que l'or blanc n'est pas rentable et affirment en même temps qu'ils sont obligés de produire. Avec la production du coton, ils sont devenus dépendants des intrants. Des intrants qu'ils ne peuvent s'offrir sans l'aide des sociétés. Le gouvernement ne propose pas une autre culture alternative. Ce que Innocent Yago a résumé : "Nous n'avons que notre coton, le reste des cultures de rente ne marche pas". ANR



18/12/2009
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