Ces rejetons un peu trop chéris

Elevés dans le culte de la performance et de la santé, les enfants d'aujourd'hui ne connaissent plus ni le danger ni l'ennui. Mais gare aux retours de bâton à l'adolescence, prévient le quotidien italien La Repubblica.

 

Juillet 2007, JT de 20 heures : la consommation des pâtes courtes a dépassé celle des pâtes longues. La raison ? Les enfants mangent mieux les pâtes courtes – papillons, macaronis ou coquillettes ; ils ne savent pas enrouler les fettucines et les spaghettis. Les parents, dociles, s'adaptent. Un gastro-entérologue affirme en outre que la digestion des pâtes courtes est plus rapide. Elle est moins stressante pour l'estomac. Même les temps de digestion de l'enfant sont surveillés. Ils sont forcément courts, parce qu'à 15 heures commencent les activités d'après-midi – canoë, pentathlon, chinois, violon – et si possible sans lourdeurs d'estomac.

L'enfant mange bio, de préférence. Il ne tombe pas malade, et si cela arrive, il guérit aussitôt. Il sera vacciné treize fois au cours de sa vie, il est soumis à des cycles d'antibiotiques au moins quatre fois par an. A la moindre inflexion de trajectoire, on suspecte quelque pathologie, aussitôt détectée et traitée. Trop de vivacité inquiète : 3 enfants exubérants sur 10 sont soumis à des tests de déficit d'attention, et s'ils ont du mal à s'endormir dès que la lumière est éteinte, c'est probablement qu'ils souffrent de troubles du sommeil. Il n'y a plus de distraits ni de paresseux, rien que des débuts de dyslexie et des spécialistes aux honoraires salés pour les soigner. Les enfants parfaits apprennent une deuxième langue avant 3 ans parce que désormais chacun sait que les neurones du langage doivent être stimulés à cet âge. Ils subissent des interventions de correction du palais cent cinquante fois plus souvent qu'il y a dix ans. A 12 ans, on recolle les oreilles en feuille de choux ; à 14 ans, ils sont au régime ; à 18 ans, une jeune fille sur quatre souhaite modifier ses seins et une sur dix le fait.

A l'école primaire, aux traditionnels activités foot ou danse s'ajoutent de nouvelles disciplines : rugby, escrime, golf, canoë. Le pentathlon, chaudement conseillé par les pédiatres parce que c'est un sport complet, est pour les parents un véritable parcours du combattant. Les enfants parfaits sont venus au monde avec une péridurale et vivent une vie sous anesthésie et sans douleur, préservée des risques en tout genre, régulièrement contrôlés, constamment accompagnés – par des baby-sitters, forcément, car les mères travaillent. Ce sont les enfants du progrès de la science et souvent de mères proches des 40 ans, 35-45 plus exactement. Ils sont le plus souvent destinés à rester des enfants uniques. La conséquence directe est la "dictature de l'enfant" : ils dorment dans le lit des parents, ils dictent leur régime alimentaire, leurs rythmes de vie et même leurs amitiés. La plupart des fréquentations entre adultes est la conséquence des amitiés des enfants, copains d'école ou de sport. Roberto Volpi, démographe de l'enfance, fait remarquer que la surabondance de stimulations "culturelles" des petits ne produit pas un meilleur rendement scolaire. Cette frénésie d'activités encadrées et d'examens de toutes sortes inculquée par les parents correspond davantage à une exigence de gratification, à un besoin de compensation des frustrations des adultes qu'aux ressources effectives de leurs enfants, qui finissent par ressembler à des petits robots identiques et, dans l'ensemble, incapables d'affronter les véritables difficultés. "On ne sait plus accepter l'idée de risque. Dès la grossesse, la naissance d'un enfant est une affaire confiée de A à Z aux spécialistes : échographies, diagnostics prénataux sophistiqués pour conjurer toute éventuelle anomalie, le moindre défaut de fabrication. Des enfances balisées comme des slaloms entre mille peurs à conjurer : vaccins, prophylaxies, cours particuliers. Des jouets sécurisés aux lits anatomiques, on sollicite l'avis de la science pour tout. Au cours des trente dernières années, les décès d'enfants pour causes violentes ont diminué de 75 %, mais la perception est inversement proportionnelle, on est persuadé que le danger est en constante augmentation." A l'adolescence, ces ex-enfants parfaits sont amenés en masse chez les neuropsychiatres dits "de la période évolutive", pour les aider à accepter l'écart entre le poids des attentes familiales et leurs réelles capacités. Blessure du moi grandiose, ça s'appelle. Si on alimente une idée de soi grandiose, tôt ou tard, elle se fracasse. Et c'est le recours aux drogues, par exemple, comme moyen d'oublier l'échec du projet. Une autre possibilité consiste à rester chez sa maman jusqu'à 30 ans, et cette perspective-là n'est pas non plus particulièrement exaltante.

Concita de Gregorio
La Repubblica


22/01/2008
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