Artistes en croisade contre l'impunité

 

Ils s'appellent Didier Awadi, Tiken Jah Fakoly, Ismael Isaac, Smockey, Sams'K le Jah, Miss Safia, Faso Kombat, Slam, Obscur Jaffar, Nafremy, Sana Bob et Zedess. Ils ont réalisé un album en Hommage au journaliste Norbert Zongo. Un devoir de mémoire pour ces artistes engagés dans la lutte citoyenne contre l'impunité. Un an après la sortie de l'album, quelques uns d'entre eux apprécient le chemin parcouru dans cette quête de justice.

 

Dans les complaintes funéraires en pays moaga, les "youmba" (griots) émettent des souhaits : "Que Dieu fasse que les termites rongent le dos du défunt, mais laisse son visage pour qu'il puisse regarder ses ennemis et ses amis restés ici bas". Cette supplique musicale pendant les funérailles prouve, dans la conception du peuple moaga, que les défunts ont toujours un lien avec les vivants. Dans cette vision, Norbert serait en train de regarder le peuple burkinabè se démener depuis 11 ans pour que justice se fasse sur son assassinat et celui de ses 3 compagnons d'infortune. Il dévisagerait également ceux-là aussi qui lui ont fait boire dans le gobelet de la mort et qui continuent de se cacher grâce à la complicité des seigneurs du moment. Au sein du mouvement "trop c'est trop", de nombreux artistes se sont manifestés depuis l'année dernière. Ils se joignent ainsi au mouvement contre l'impunité pour dire "plus jamais ça" et demander la réouverture du dossier Norbert Zongo dont le non-lieu a été prononcé le 18 juillet 2006. Le 13 Décembre de l'année dernière, ils ont réalisé un album intitulé "dossier classé ?". Ils ont aussi donné un grand concert à la Place de la Nation dans le cadre des activités commémoratives du 10ème anniversaire. Cette année encore, ils ont manifesté leur présence à travers des activités dont un concert à Koudougou, un panel le 12 décembre au Centre de presse Norbert Zongo co-organisé avec la Coordination du Collectif contre l'impunité. Ce mouvement d'artistes musiciens contre le crime de Sapouy est panafricain de par sa composition. Pour Sams'K le Jah, le démon n'est pas encore sorti de la case, par conséquent, la lutte doit être plus que jamais de mise. Il en veut pour preuve la poursuite des menaces à l'encontre des journalistes, l'incendie de son véhicule en 2007 et les remises en cause de certaines réformes politiques et institutionnelles arrachées de haute lutte. A propos des réformes politiques, ils sont en ordre de bataille contre l'éventualité de la révision de l'article 37 de la constitution qui limite le nombre de mandats présidentiels à deux. Comme disent les anciens : "les voleurs se reconnaissent à la marque des pointes de pied même sur le rocher". Le Jah assure les voir venir et le peuple burkinabè, pour lui, devrait refuser cette volonté de "monarchisation". Les musiciens subissent des pressions d'une manière ou d'une autre. Des tribunes leur sont interdites sous le prétexte qu'ils sont subversifs. Sur certains plateaux, ils sont soumis au diktat des organisateurs qui imposent les titres qu'ils doivent chanter. Mais cela ne leur fait pas renoncer à la conviction qu'il faut dénoncer les travers de la République. Le "slameur" Slam, jeune musicien qui s'est frayé le passage depuis peu dans le paysage musical, dit vouloir s'inscrire dans la continuité de sa démarche musicale à travers sa participation à l'album "Dossier classé ?" parce qu'auparavant, dans son propre album, il avait chanté "journaliste" en hommage aux journalistes tombés la plume à la main. La musique constitue un ferment dans la lutte. Les exemples foisonnent en la matière. Dans le combat pour sortir du joug de l'apartheid, le vaillant peuple de l'Afrique du Sud sous la houlette du Congrès national Africain (ANC) a utilisé les chants pour galvaniser les combattants et le peuple. Les artistes comme Miriam Makeba, le groupe Zulouka et bien d'autres ont été des porte-étendards de la lutte contre la discrimination. Les musiciens de l'album "Dossier classé ?" n'envisagent pas réinventer la roue. Ils restent dans ce mouvement universel d'interpellation par la musique. Quant à la prise de conscience par le peuple des messages véhiculés, le Jah assure que c'est comme dans une classe, tout le monde ne peut pas être au même niveau de compréhension. Il faut des guides patriotes et patients pour conduire les masses vers des lendemains meilleurs. Le modèle de Jésus-Christ et ses 12 apôtres dans l'évangélisation montrent que c'est dans la persévérance qu'on finit par gagner le grand nombre. Ce qui fait dire au patron du studio Abazon, Smockey, qu'il faut travailler en synergie avec les structures de lutte citoyenne. Internet avec toutes ses facilités est un instrument qui peut servir efficacement à la cause citoyenne. La censure malgré cet environnement de relative liberté est toujours omniprésente selon Smockey. Récemment, quand les différentes structures de la société civile ont voulu organiser un concert à la Maison du peuple pour décrier les manœuvres pour réviser l'article 37, on a usé de prétextes fallacieux pour les empêcher de se produire. Ils se sont vus dans l'obligation de se rabattre sur la cour du Salon international de l'artisanat de Ouagadougou (SIAO). L'année dernière, un concert à l'occasion du 1er anniversaire des émeutes de la faim a été annulé à Bobo-Dioulasso. Les motifs invoqués étaient qu'il pourrait encore susciter un regain de violence dans la ville de Sya. Certaines salles à l'intérieur du pays leur sont refusées. Pour toutes ces raisons, le combat, clame-t-il, doit être plus déterminant et permanent. Bob Sana s'est joint à la clameur des artistes dans "Dossier classé ?" pour plus de Justice et la paix parce que, soutient-il, dans un pays, la paix profite à 3 personnes. La femme, l'enfant et l'artiste. C'est dans cette dynamique qu'il n'hésite pas à répondre à l'appel des mouvements des droits humains. Il tient cependant à faire la part des choses. Il est artiste et non un opposant. Mais depuis sa participation aux différentes manifestions du Collectif des organisations des masses et des partis politiques, il est boudé dans certains milieux. Mais cela n'entame pas sa détermination à toujours défendre les valeurs humaines. Dans cet élan de la lutte pour les artistes, les femmes ne doivent pas rester en marge. Elles sont interpellées par les artistes et particulièrement par Smockey à occuper leur place dans les rangs pour remplir leur rôle de fondatrices des sociétés, à l'image des candaces de la Nubie, des Amazones de Ghezo au Bénin et des vaillantes femmes de Grand Bassam dans la lutte pour l'émancipation de l'Afrique pendant les années 1950. L'action collective des " Femmes en noir " est saluée par les artistes. Une invite est faite aux autres femmes à rejoindre le cercle de ceux et celles qui revendiquent Justice et vérité, pour tous les crimes de sang et économiques qui restent toujours impunis. A propos des femmes, le professeur Joseph Ki Zerbo disait ceci: "Comme Osiris, l'Afrique est aujourd'hui dépecée et désintégrée surtout par le genre masculin autochtone et exogène. Isis à l'époque voyante émérite des choses cachées, maîtresse de haut savoir peut aujourd'hui encore remembrer ce continent dans la paix et le restituer à son identité première du genre humain." MNZ



06/01/2010
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