A l'insu de leur époux, Des femmes mariées se mettent sous contraception


"Plus d'une vingtaine de femmes me confient leur fiche de consultation parce qu'elles ne veulent pas que leur époux soit informé du fait qu'elles soient sous contraception", révèle Odile Fandé, sage-femme à l'Association burkinabè pour le bien-être familial (ABBEF) à Koupèla, ville située à 147 km à l'Est de Ouagadougou. Ces femmes laissent à la sage-femme leur carte de consultation lorsqu'entre deux courses, elles se rendent en catimini au Centre ABBEF. Elles ne veulent pas que les maris le sachent, explique la sage-femme. Ainsi elles optent pour des contraceptions discrètes comme la méthode injectable (Depo) efficace pour trois mois. "Je n'ai pas de remords à le faire à son insu car lorsqu'il t'enceinte, il t'abandonne, et tu t'occupes seule des enfants, de lui même et de toi. C'est pourquoi j'ai décidé d'agir ainsi. D'ailleurs, la vie est tellement chère maintenant que je préfère prendre les devants et garantir mon bien-être et celui de mes enfants.", confie Asséta, 27 ans, mère de 5 enfants. Outre cette aisance, le planning lui permet de jouir positivement de sa sexualité. "Avec mon contraceptif, je peux avoir des relations sexuelles sans me soucier d'une quelconque grossesse. Ce qui n'était pas le cas avant ", dit Assèta en souriant. Selon Odile Fandé, les femmes qui viennent à elle veulent espacer leurs grossesses car leurs accouchements sont rapprochés. "J'ai fais l'injectable à l'insu de mon mari. A ma dernière grossesse, j'ai beaucoup souffert. La sœur de celle que je porte avait à peine un an quand je suis tombée enceinte et j'avoue que je ne veux pas renouveler l'expérience", assure Asséta. La majorité des femmes sous contraceptifs ont entre 19 à 30 ans et sont en moyenne mère de 3 à 4 enfants et issues de familles faisant face à des difficultés matérielles et financières.

Sensibiliser et éduquer les hommes

Si les femmes vont en cachette pour bénéficier des méthodes d'espacement des grossesses, c'est que pour elles, il est difficile, voir impossible, de convaincre leur époux. "J'ai essayé d'en parler à mon mari. Mais il n'a voulu rien savoir. Aussi moi et ma coépouse, nous avons décidé à son insu de nous mettre à la contraception injectable ", affirme Asséta. A Koupéla, l'attitude réfractaire des hommes face à la contraception, s'explique par le fait que c'est une zone fortement catholique, selon Odile Fandé: "Les conjoints s'opposent à la contraception estimant qu'elle favorise le vagabondage sexuel de la femme. Pire, elle la rendrait stérile". Et Abdoulaye Bancé, responsable du Centre d'écoute pour Jeunes de l'ABBEF de Koupéla, de renchérir : "Les maris n'évoquent aucunement une raison médicale pour s'opposer à la contraception. Leur seule volonté est d'avoir des enfants". Abdoulaye Bancé soutient que c'est la peur de ne plus voir leurs épouses dépendantes qui effrait les hommes et justifie leur refus de les voir sous contraception. "J'explique leur refus par le fait que la contraception donne plus de liberté et d'autonomie à la femme", affirme Abdoulaye Bancé. Chose que confirme Asséta. Elle est vendeuse de céréales. Le planning lui donne plus de possibilité d'évaluer sa situation financière par réalisation de plusieurs activités génératrices de revenus et de planifier son avenir et celui de sa famille. Si Asséta est l'une des rares femmes à se donner ce privilège, les autres vivent le poids de la tradition dans une zone rurale en voie d'urbanisation. A Koupéla donc, la valeur ou la grandeur d'un homme se mesure à la taille de sa famille. Plus un chef de famille a d'enfants, plus il est respecté. Les enfants sont synonymes de richesse. Ainsi Emile Zongo, vendeur de titres de transport, pense que "Avoir de nombreux enfants est signe de la virilité de l'homme et de la fécondité de la femme". Selon lui, le seul être pouvant stopper cette fertilité est Dieu : "Elle doit continuer à accoucher jusqu'à ce que cette action divine intervienne ".
Confrontées donc à cette exigence, certaines femmes se cachent pour adopter une méthode contraceptive. Pour éviter cette situation et permettre que la décision de planification soit conjointement prise, l'épouse et son partenaire, "il ya lieu que des messages de sensibilisation soient spécifiquement adressés aux hommes", suggère Bancé Abdoulaye. Ensemble, le couple peut déterminer la contraception la mieux adaptée en s'informant sur les avantages et les inconvénients de chaque méthode. Pour réaliser cet objectif, la collaboration avec les communautés religieuses et traditionnelles peut aider à formuler les décisions et à définir les attentes à propos des méthodes d'espacement des naissances. Les prestataires peuvent mieux conseiller les femmes, mieux le couple, s'ils comprennent les pratiques culturelles et les croyances traditionnelles.

La maison de la stérilité

Outre le cache-cache pour accéder à la contraception, certaines femmes, pour ne pas être vues par leur entourage, se rendent à "la maison qui ne veut pas que les femmes accouchent", c'est le nom donné par les anti-planning familial au Centre ABBEF, aux heures de descente. Pour pallier cette situation, l'ABBEF Koupéla, créée en 1979, a diversifié ses activités. Elle offre des services de consultation prénatale, la prise en charge en hypofertilité, en soins de maladies sexuellement transmissibles, des activités distractives et éducatives (projection de films, débat, bibliothèque, centre d'étude, etc.). Cette diversification fait plus ou moins tomber les suspicions et attire différentes couches de la population.
Parfois, la catégorie de personnes fréquentant le Centre est à la recherche de confidentialité ou de la préservation de l'intimité. Certains individus parcourent plusieurs dizaines de kilomètres pour se rendre au seul Centre ABBEF. C'est le cas de Mariam Dianou, 38 ans, mère de 5 enfants et de Binta Nangré, 44 ans également mère de 5 enfants, résidant toutes deux à 33 km de Koupéla dans le village de Bila Yanga. Contrairement aux autres femmes, elles ont bénéficié du soutien et de l'autorisation de leur époux pour la contraception.

Eviter les ruptures de stocks

"La fréquentation du Centre reste faible ; en moyenne nous avons 15 consultations par jour", note Patricia Zougmoré, fille de salle à l'ABBEF. Pour dynamiser l'engouement pour la contraception, comme solution, l'ABBEF a adopté la stratégie des paires éducateurs. Ainsi depuis 2006, 20 conseillers, issus des dix villages que compte la province du Kouritenga dont Koupéla est la capitale, dirigent les personnes vers l'ABBEF. Mais la distance entre les villages et le Centre ABBEF ou les autres Centre de santé de soins primaires prodiguant les méthodes de contraception découragent certains. Néanmoins, malgré le faible nombre de fréquentation, l'ABBEF Koupéla a du mal à satisfaire les demandes d'informations et de soins. Les causes : la défectuosité du matériel de projections empêchant la diffusion des messages de sensibilisation. Le personnel existant est restreint et submergé de travail. Par exemple, le responsable du Centre est à la fois, le coordinateur, le comptable, l'animateur terrain, etc. Une seule sage-femme est agent soignant et fait le counseilling. Son absence, pour une quelconque raison, affecte les patientes. Ces dernières sont obligées de rebrousser chemin. A cela s'ajoute la rupture de stock de produits contraceptifs. Certaines femmes ne peuvent donc pas toujours se procurer la contraception qu'elles préfèrent. L'épuisement des stocks ou les difficultés d'approvisionnement empêchent les femmes d'utiliser sans interruption leur méthode préférée, ce qui favorise l'abandon temporaire ou définitive de la méthode.
La santé reproductive sous-entend la possibilité pour les femmes d'avoir un enfant au moment choisi. Elle implique que femmes et hommes aient accès à l'information sur toutes les méthodes de contraception et fassent leur choix en connaissance de cause.
Pour l'heure, au Burkina Faso, la contraception est l'affaire des femmes. Les hommes sont encore très peu impliqués dans le choix. Cette situation est à la base du faible taux d'utilisation des méthodes contraceptives. Il est de 9,7% pour les méthodes modernes. Pour toutes méthodes confondues (traditionnelles et modernes), le taux est de 14%.

Ramata.sore@gmail.com



05/05/2008
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